samedi 26 décembre 2015




En ouverture de l'évangile de Matthieu, une longue généalogie s'achemine patiemment jusqu'à Jésus. Au chapitre suivant, des mages venus de loin dirigent leurs pas et leur cœur vers le roi qui vient de naître : le temps et l'espace convergent ainsi vers l'enfant de Bethléem.
L'oreille collée au ciel, le cœur ouvert, les pas souples sur la terre, les savants d'Orient s'avancent d'abord vers Jérusalem. C'est là qu'ils pourront trouver ce qui leur manque pour arriver à bon port : les Écritures d'Israël. D'autres érudits, nourris de ces textes, leur indiqueront le lieu annoncé par les anciens, mais sans entendre pour eux-mêmes le vent du large : Hérode fait écran entre eux, et leur front reste penché sur les pages.
Le tissage des Écritures et l'écoute du Tout-Autre rendent l'étoile plus brillante que jamais, et voici les sages qui se prosternent devant l'enfant-roi, avant de s'en retourner chez eux par un chemin à jamais inaccessible aux tyrans.



lundi 14 décembre 2015


Bergers veilleurs



Ils ont suivi les chemins des hauts plateaux 
depuis la nuit des temps, 
les bergers veilleurs. 
La lumière sans cesse frôle les crêtes, 
et tous, ils lèvent les yeux.
Le berger de Laban, qui rencontra Dieu de nuit; 
celui de Madian, pieds-nus sur la terre; 
le petit-dernier de Jessé, David le bien-aimé, 
et tant d'autres encore.
Le ciel veille sur eux, 
le voilà qui s'incline
et quelques étoiles s'en étonnent tout haut. 
Les lignes sombres de la terre convergent vers cette lumière...


mercredi 28 octobre 2015



"Ton Dieu sera mon Dieu..."

(Livre de Ruth, suite)


Mais que connait-elle, Ruth, de ce Dieu qu'elle veut rejoindre ? Il faut reconnaître que Dieu reste discret dans cette histoire. En apparence, du moins.

Dans bien des livres de la Bible, on Le voit discuter volontiers avec les uns et les autres : Abraham, et Sarah, Moïse, David, les prophètes aussi, porte-paroles privilégiés, amis et confidents. Au bord d'un puits, en plein désert, sous un arbre, dans une maison, ou un Temple : tous ces lieux, et bien d'autres, conviennent pour ces conversations. Dieu parle, Il agit aussi, faisant évoluer les situations en direct. Les lecteurs familiers de ces récits ne s'en étonnent plus : c'était dans un autre temps, n'est-ce pas, bien lointain...


Mais d'autres livres de la Bible sont plus discrets sur l'action et la parole divine. Non qu'ils ne croient pas à Sa Présence agissante, mais ils font le choix de se rapprocher de l'expérience concrète du lecteur qui a rarement l'occasion d'entendre un appel divin depuis un buisson, au sommet d'une montagne ou même au seuil de sa maison. Le livre de Ruth est de ceux-là. 

Et pourtant, Dieu n'y est pas absent : les uns et les autres parlent de Lui, abondamment. Ils racontent ce qu'Il a fait, bénissent en Son Nom, s'engagent en Le prenant à témoin, souhaitent qu'Il agisse avec la même bonté que celle dont a témoigné tel ou telle, etc.  Son Nom bruisse dans les conversations, au cœur de la nuit, comme en plein jour sur la place du village.
Et puis, on Le devine également mystérieusement présent entre les lignes, faisant se croiser les chemins, se rejoindre les histoires vers une vie plus vaste.

Mais cette providence divine n'a rien de magique, elle est discrète présence qui demande à être reconnue, accueillie; elle est invitation à être signe de cette présence les uns pour les autres, à tisser ses actes et ses paroles avec ceux de Dieu.

Selon un midrash de la tradition Juive : "Boaz a fait ce qu'il devait faire, Ruth a fait ce qu'elle devait faire, Noémie a fait ce qu'elle devait faire... Alors Dieu dit : moi aussi je ferai ce que je dois faire !"



samedi 12 septembre 2015


"Ton peuple sera mon peuple..."

Livre de Ruth

(et allusions à Gn 12,1; Ex 19,4; Dt 32,11; Ps 91,4)


Deux femmes sur le chemin. L'une âgée, l'autre jeune. La première s'en revient au pays après l'avoir quitté dix ans auparavant pour cause de famine. L'autre, sa belle-fille, l'accompagne, laissant à son tour son pays, Moab. Noémie et Ruth. Deux femmes veuves et sans enfants. Famine, exils, deuils, solitude et absence d'avenir... voilà ce qui mène Noémie à se lamenter "Appelez-moi Mara car Dieu m'a rendue amère à l'extrême. C’est comblée que j’étais partie, et vide me fait revenir le Seigneur." Quelques versets avant, elle avait déjà crié sa désolation et son découragement : "Pour moi l’amertume est extrême (...) contre moi s’est manifestée la main du Seigneur"

Et les voilà maintenant entre deux terres, Moab et Bethléem, entre les broussailles de ces deux plaintes de Noémie. Ruth, pourtant, est restée à ses côtés.  Et son chant rythme le chemin :

"Ne me presse pas de t’abandonner, 
de retourner loin de toi ;
Où tu iras j’irai,
et où tu passeras la nuit je la passerai ;
ton peuple sera mon peuple 
et ton Dieu mon Dieu ;
où tu mourras je mourrai, et là je serai enterrée.
Le Seigneur me fasse ainsi et plus encore si ce n’est pas la mort qui nous sépare ! »

Les épines de Noémie ont laissé des traces : Ruth évoque la mort, même si c'est pour dire sa fidélité inconditionnelle. Mais sa voix, de plus en plus assurée, défie à chaque pas le malheur. D'où lui vient cet allant, cette confiance, cette joie mystérieuse ? De l'insouciance de la jeunesse ? De l'affection qu'elle porte à sa belle-mère ? D'un autre chant aussi, plus profond, qui se lève en elle ? Enigme de cette déclaration qui n'est pas dite à la légère... L'histoire nous montrera comment elle sera suivie de vie en profusion.  

"Ton peuple sera mon peuple..."
Ce départ ressemble étrangement à une autre mise en route, celle par laquelle tout a commencé pour Israël. C'est ce que lui dira Booz, l'homme juste rencontré à Bethléem : "On m'a raconté tout ce que tu as fait pour ta belle-mère depuis la mort de ton mari et comment tu as abandonné ton père, ta mère et le pays de tes origines pour aller vers un peuple que tu ne connaissais pas". Un autre avant elle était parti "de son pays, et de la maison de son père pour un pays qu'il ne connaissait pas et que Dieu lui ferait voir" : Abraham, le premier des Patriarches.

Comme si cela n'était pas assez, Booz continue : "Que le Seigneur te rende ce que tu as fait ! Que ta récompense soit complète de la part du Seigneur, le Dieu d'Israël, sous les ailes de qui tu es venue chercher un abri !". Cette expression "sous les ailes du Seigneur" résonne fortement dans la mémoire d'un fils d'Israël. Elle évoque le Dieu refuge pour son peuple. "Sous ses ailes tu te réfugies" chante le psalmiste, reprenant les mêmes mots, comme en écho à la confiance des pères dans leur traversée du désert.

Une jeune veuve étrangère comparée au premier des Patriarches ?
Une fille de Moab venue se poser sous les ailes du Seigneur comme le peuple en ses commencements ?
Sous les apparences d'une jolie petite romance, le livre de Ruth dessine peu à peu le portrait de cette femme étrangère qui revit en quelque sorte, dans le quotidien de sa vie, les instants fondateurs du peuple avec qui Dieu a fait alliance.

Mais ce n'est pas tout... Dans le livre de Ruth les glanages sont fructueux : la moisson est abondante encore. A suivre, donc...

dimanche 19 juillet 2015


"Et Toi, Tu t'es attaché à ma vie..."

(Isaïe 38,9-22)

Isaïe mon ami. Cela aussi, tu l'avais dit : la vie qui s'épuise, la joie qui s'étiole peu à peu et dont on s'aperçoit un jour qu'elle est enfouie si loin. Et même la force de révolte qui disparaît à son tour, noyée sous la peine silencieuse; le regard transparent étonné de la vie qui continue autour. 
Même cela, le Dieu que tu chantes le prend en lui et votre longue fréquentation t'en a donné l'assurance. Tu le mets sur les lèvres d'Ézéchias, sois remercié d'avoir recueilli cette sève de mots dont seule la Source désaltère.


"Ecrit d'Ezéchias, roi de Juda, lors de la maladie dont il fut guéri. 
Je disais : Au midi de mes jours, je m'en vais, aux portes du séjour des morts, je serai gardé pour le reste de mes ans. 
Je disais : Je ne verrai pas Le Seigneur, Le Seigneur, sur la terre des vivants, je ne pourrai plus voir un visage d'humain parmi les habitants du pays où tout s'arrête.
"Ma demeure est enlevée et exilée loin de moi, comme une tente de berger, comme un tisserand j'ai enroulé ma vie. Il m'a arraché à la chaîne de tissage... 
Du jour à la nuit, tu en auras fini avec moi. Avant le matin, je serai réduit à rien...
Mes yeux levés vers toi n’en peuvent plus : Seigneur, je suis écrasé, interviens pour moi ! 
Je dois traîner toutes mes années avec l'amertume qui est la mienne. 
Mon amertume s'est changée en paix.
"Le Seigneur est auprès des siens, et tout ce qui est en eux vit par mon esprit", tu me rétablis, tu me rends à la vie...
Et toi, tu t'es attaché à ma vie pour que j'évite la fosse et tu as jeté derrière toi tous mes péchés."


Les mots se bousculent, cherchant un chemin entre désarroi et confiance. Des images disent la vie qui s'effiloche et rien qui ne la retient. Rien, si ce n'est Dieu lui-même, seul garant absolument fiable de cette vie profonde. Un Dieu qui s'attache de lui-même à la vie parfois si ténue, si amère. Un Dieu qui le premier a le désir de vie quand celui-ci vacille en l'âme affolée. 
Lumière à l'orée du silence, consentement au jour qui vient.



Le vivant, le vivant lui seul te loue, comme moi aujourd'hui !


dimanche 17 mai 2015


Les cieux racontent la gloire de Dieu
et l'œuvre de ses mains, la voûte céleste la proclame.
Le jour au jour en livre le récit
la nuit à la nuit en donne connaissance
Il n'y a pas de mots, pas de paroles, leur voix ne s'entend pas
mais par toute la terre en ressortent les traces
et leur langage jusqu'aux extrémités du monde...
Ps 19,2-5


Le psalmiste se tient d'abord silencieux.
Il écoute, et recueille les récits sans fin de la terre et du ciel, des jours et des nuits. A leurs palabres incessantes il tend l'oreille, et ces paroles lui semblent à la hauteur du mystère. Il s'imprègne des aubes pastel, des soirs apaisés, ou rugueux, de la rumeur du vent qui ploie les grands arbres, des marées puissantes, de la terre sous ses pieds. Certains jours, des lumières inouïes, une harmonie pleine, le laissent sans voix, le souffle coupé. Là encore, il écoute, attentif au chant qui depuis l'origine porte le monde, au Souffle qui couve la terre. Et peu à peu les mots lui viennent, timides reflets de la splendeur qui l'entoure. Timides mais indispensables. Mots d'émerveillement qui jalonnent le psautier, répits entre les plaintes et les questions, la mémoire et l'attente. Pierres de gratitude envers le Dieu de toute Vie, haltes sur le chemin.


samedi 4 avril 2015


Les Chants du Serviteur  

dans le livre d'Isaïe


Voici mon serviteur que je soutiens, (...) j'ai mis mon Esprit sur lui. Pour les nations il fera paraître le droit, il ne criera pas, il n'élèvera pas le ton, il ne fera pas entendre dans la rue sa clameur ; il ne brisera pas le roseau ployé, il n'éteindra pas la mèche qui s'étiole ; à coup sûr, il fera paraître le droit. Lui ne s’étiolera pas, lui ne ploiera pas, jusqu’à ce qu’il ait imposé sur la terre le droit (...).  Ainsi parle Dieu, le Seigneur, qui a créé les cieux et qui les a tendus (...) donné respiration à la multitude qui la couvre et souffle à ceux qui la parcourent : C'est moi le Seigneur, je t'ai appelé selon la justice, je t'ai tenu par la main, je t'ai mis en réserve et je t'ai destiné à être l'alliance du peuple, à être la lumière des nations, à ouvrir les yeux aveuglés, à tirer du cachot le prisonnier, de la maison d'arrêt, les habitants des ténèbres. Isaïe 42, 1-7

C'est un jardinier entre terre et ciel.
Il ouvre ses mains, et reçoit du ciel la pluie, l'Esprit, la force, et la parole; puis il fait sortir de terre le droit et la justice. Attentif à la croissance de ce qui encore est invisible, il retient sa voix en infinie douceur devant toute peine, toute flamme hésitante.
Mais lui est fort de la main qui le tient, comme elle tient la terre et le ciel, les mers et les terres habitées. Fort aussi du Souffle partout donné, souverain sur les ténèbres, sur toute ombre de mort.


Le Seigneur m'a appelé dès le sein maternel, dès le ventre de ma mère, il s'est répété mon nom. Il a disposé ma bouche comme une épée pointue, dans l'ombre de sa main il m'a dissimulé. Il m'a disposé comme une flèche acérée, dans son carquois il m'a tenu caché. Il m'a dit : « Mon serviteur, c'est toi, Israël, toi par qui je manifesterai ma splendeur. » Mais moi je disais : « C'est en vain que je me suis fatigué, c'est pour du vide, pour du vent, que j'ai épuisé mon énergie ! » En fait, mon droit m'attendait auprès du Seigneur, ma récompense, auprès de mon Dieu. (...) Isaïe 49,1-9

Parfois il hésite, à quoi bon tout cela; d'autres jours, ou les mêmes, sa parole est tranchante, souveraine à son tour. Quand il parle, autour de lui s'éclairent les cœurs, se révèlent les princes; le monde se remet à l'endroit. 
Il va son chemin de Juste, et cette route bientôt ne connait plus de frontières.



Le Seigneur Dieu m'a donné une langue de disciple : pour que je sache soulager l'affaibli, il fait surgir une parole. Matin après matin, il me fait dresser l'oreille, pour que j'écoute, comme les disciples. Le Seigneur Dieu m'a ouvert l'oreille. Et moi, je ne me suis pas cabré, je ne me suis pas rejeté en arrière. J'ai livré mon dos à ceux qui me frappaient, mes joues, à ceux qui m'arrachaient la barbe ; je n'ai pas caché mon visage face aux outrages et aux crachats. C'est que le Seigneur Dieu me vient en aide : dès lors je ne cède pas aux outrages, dès lors j'ai rendu mon visage dur comme un silex, j'ai su que je n'éprouverais pas de honte. Il est proche, celui qui me justifie ! (...) Isaïe 50, 4-10


Le voilà entre langue et oreille,  debout dans la fidélité des matins, la parole reçue posée comme un baume sur toute douleur. Mais sa voix se heurte aux chardons du monde, aux langues de vipère,  aux coups des envieux. Chaos du monde qui s'acharnent...  Consentement du Serviteur à la Lumière que rien n'arrête... 


Voici que mon Serviteur réussira, il sera haut placé, élevé, exalté à l’extrême. De même que les foules ont été horrifiées à son sujet – à ce point détruite, son apparence n’était plus celle d’un homme, et son aspect n’était plus celui des fils d’Adam –, de même à son sujet des foules de nations vont être émerveillées, des rois vont rester bouche close, car ils voient ce qui ne leur avait pas été raconté, et ils observent ce qu’ils n’avaient pas entendu dire (...). Il était méprisé, laissé de côté par les hommes, homme de douleurs, familier de la souffrance, tel celui devant qui l’on cache son visage ; oui, méprisé, nous ne l’estimions nullement. En fait, ce sont nos souffrances qu’il a portées, ce sont nos douleurs qu’il a supportées, et nous, nous l’estimions touché, frappé par Dieu et humilié. Mais lui, il était déshonoré à cause de nos révoltes, broyé à cause de nos perversités (...). Isaïe 52,13 et tout le chapitre 53 


Que dire de plus ?
Laisser la nuit descendre, le silence tout habiter. Recueillir les mots qui passent le tamis de la souffrance, traverser la ténèbre avec eux, en cueillir la sève de vie, et la laisser guérir toute peur et tout mal.
S'effacer devant la beauté du chant, limpide soudain, dans la puissance du Serviteur que plus rien ne tient captif.
Et au matin qui suit la nuit la plus profonde, écouter la Joie de La Ville, partir à la recherche du jardin où tout a commencé, et rencontrer Le Jardinier...







A Maud, qui a suivi le chemin du Christ Serviteur, et a rejoint cette semaine la maison du Père.