Frères, vraiment.
Les
histoires de frères balisent le premier livre de la Bible, la Genèse. Caïn et
Abel, Jacob et Esaü, Joseph et ses frères... Des
histoires dûment répertoriées, qui habitent nos mémoires, nos livres et nos
musées.
Mais il en
est d'autres plus cachées, qui demandent au lecteur la même attention que celle
qui permet à un compagnon de devenir un frère.
C'est au
chapitre 13 de la Genèse. Abram et Loth
cheminent ensemble. Loth est le neveu d'Abram, lien familial plusieurs
fois rappelé dans ces chapitres.
Mais à
trois reprises, Loth est présenté explicitement comme frère d'Abram. Non pas "parent" comme le proposent
certains traducteurs visiblement gênés par cette soudaine proximité, mais
frère, vraiment frère.
La première
arrive dans un contexte tendu : Abram et Loth sont devenus riches, leurs gens
nombreux. Le texte dit avec la sobre lucidité qui est la sienne : "Le pays n'assura pas les besoins de
leur vie commune, car leurs biens étaient trop considérables pour qu'ils
puissent vivre ensemble." Suite à des disputes entre leurs
bergers, Abram prend l'initiative et dit à son neveu : « Qu'il n'y ait pas de querelle entre moi et toi, mes bergers et
les tiens : nous sommes frères." Il lui propose alors la
séparation de leurs routes, lui offrant de choisir le territoire qui sera le
sien : " Si tu prends le nord,
j'irai au sud ; si c'est le sud, j'irai au nord."
Au chapitre
suivant, surgissent quatre rois en guerre.
"Ils prirent Loth, le neveu d'Abram, avec ses biens. (...) Dès que
celui-ci apprit la capture de son frère, il mit sur pied trois cent
dix-huit de ses vassaux (...) et mena la poursuite jusqu'à Dan. Il répartit ses
hommes pour assaillir de nuit les ennemis. Il les battit et les poursuivit
jusqu'à Hova (...). Il ramena tous les biens, il ramena aussi son frère
Loth et ses biens (...)." C'est quand Abram apprend ce qui menace son neveu Loth, que celui-ci redevient "frère".
Voilà comment s'y prend le
texte biblique : il glisse ce mot dans le récit, l'air de rien, lorsque
celui-ci est clairement mis en actes, au cœur de situations difficiles.
Quittant la grand‘route des affirmations de principe, des rêves généreux mais lointains, il suit les
chemins escarpés de ceux qui donnent à ce beau mot de "frères" toute sa
densité, sa gravité. Tout son poids, c'est-à-dire, en langue hébraïque, sa
gloire.